Pour un Prix Nobel de la Guerre, enfin !

- Pour un Prix Nobel de la Guerre, enfin !
Par : Salah Lakoues
Et si, par souci d’équité internationale, nous récompensions aussi les génies du chaos ? Après tout, à force de distribuer des prix pour la paix, on en oublierait presque ceux qui s’échinent à la saboter.
Mesdames, Messieurs, en vos âmes et consciences belligérantes, bonjour.
Il est temps de le dire haut et fort : le monde de la paix est injuste. Regardez ces braves gens qui, année après année, reçoivent des Prix Nobel pour avoir évité les conflits, soigné les blessés ou fait pousser des légumes bios dans des zones arides.
C’est très beau, c’est très noble… mais qu’en est-il de ceux qui, dans l’ombre, se dévouent corps et âme à l’art délicat de la conflictualité ?
Eux n’ont droit à aucune reconnaissance, à aucune médaille, à aucun discours en suédois avec un buffet froid à la clé.
Cette discrimination doit cesser. Je propose donc, avec toute la gravité humoristique qui m’habite, la création immédiate d’un Prix Nobel de la Guerre.
Parce que l’excellence mérite d’être récompensée, même si elle est explosive
Depuis plus d’un siècle, le Prix Nobel de la Paix tente, vaille que vaille, d’honorer ceux qui « ont le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples ».
Mais à force de bonne volonté et de diplomatie tiède, l’institution a fini par se prendre les pieds dans sa propre colombe.
Récemment encore, le Nobel de la Paix a été décerné à une militante qui, dans un élan d’humanité inversée, a appelé les États-Unis à envahir son propre pays. Un concept novateur : la paix par l’occupation militaire.
On imagine déjà la scène : les tanks entrant sous les applaudissements, les drones déposant des fleurs, les discours de remerciement traduits simultanément en langage de missiles.
Alfred Nobel, inventeur de la dynamite, doit se retourner dans sa tombe : non pas d’indignation, mais de jalousie.
Il n’avait pas prévu qu’un jour, la paix elle-même deviendrait un prétexte marketing pour relancer la guerre.
Alors, pourquoi se voiler la face ? Si la guerre inspire déjà les prix de la paix, créons le nôtre, ouvertement, honnêtement, joyeusement cynique.
- Imaginez la cérémonie
La salle de concert d’Oslo, décorée aux couleurs camouflage.
Le comité, vêtu d’uniformes d’apparat légèrement tâchés de boue, annonce les lauréats au son d’une fanfare militaire.
Les catégories seraient soigneusement pensées pour célébrer le génie martial sous toutes ses formes :
- Le Nobel de Stratégie et d’Innovation Tactique
Pour celui qui a su réinventer la roue… blindée.
Un général ayant réussi à faire passer une division de chars par une ruelle piétonne, un amiral ayant utilisé des canards en plastique pour miner un détroit, ou un stratège ayant déclenché une crise mondiale à cause d’un malentendu sur un gâteau au chocolat.
L’innovation, après tout, n’a pas de frontières.
Le Nobel de la Communication en Zone de Crise
Récompensant la plus belle déclaration de guerre rédigée en alexandrins, le communiqué de victoire le plus chargé en sous-entendus, ou l’excuse diplomatique la plus audacieusement mensongère.
« C’était une opération de maintien de la paix un peu trop enthousiaste », mérite bien son pesant de couronnes suédoises.
- Le Nobel d’Économie de Guerre
Décerné à l’État ou à la corporation ayant accompli le tour de force de faire tourner une économie nationale uniquement sur la production de casques, de rations de survie au goût indéfinissable et de maquettes de drones.
Un hommage à ceux qui comprennent que la guerre, c’est aussi une question de business model.
Le Nobel de Littérature (Section Propagande)
Pour l’auteur du slogan le plus entraînant, du pamphlet le plus venimeux ou de la chanson militaire la plus entêtante — celle qu’on fredonne sans s’en rendre compte, au grand désespoir des historiens futurs.
Une récompense pour les poètes du mensonge, les rhéteurs de la dévastation et les conteurs de gloire en ruines.
Le Prix de la Paix… Perturbée
La récompense suprême. L’Oscar du chaos.
Il irait à l’individu ou au groupe ayant réussi, par une action unique et spectaculaire, à créer le plus grand nombre de conflits secondaires, de désaccords internationaux et de disputes familiales autour d’un même sujet.
Un chef-d’œuvre de déstabilisation planétaire.
Des questions éthiques ? Bien sûr.
- Qui remettrait le prix ?
Probablement un ancien lauréat, sous couvert d’anonymat et derrière une vitre blindée.
- La dotation ?
Un million de dollars, à investir exclusivement dans l’achat de pansements et de traitements contre le stress post-traumatique.
- Le lieu ?
Oslo, évidemment, mais rebaptisée pour l’occasion “Zone neutre sous supervision humanitaire”.
Et comme le veut la tradition, le banquet serait remplacé par un buffet de rations militaires lyophilisées.
Un concept durable et circulaire : les restes seraient renvoyés sur le terrain.
- Une ironie pour mieux comprendre l’absurdité
Le véritable but de ce prix, au-delà du sourire jaune qu’il provoque, serait pédagogique.
En parodiant les codes de la récompense suprême, il pointerait du doigt l’absurdité bureaucratique et parfois glorifiée de la guerre.
En décernant un “Nobel” à ses artisans, nous rendrions visible — et donc ridicule — la mécanique infernale de la conquête et de la destruction.
Car à force d’hypocrisie, la paix est devenue un mot de façade, un slogan diplomatique.
Les mêmes capitales qui organisent des conférences pour le climat abritent les plus grands salons de l’armement.
Les mêmes dirigeants qui s’indignent pour les civils bombardés négocient en secret la prochaine livraison d’obus.
Alors oui, peut-être qu’un Prix Nobel de la Guerre aurait au moins le mérite de la sincérité.
- Rire jaune, mais réfléchir
L’ironie n’est pas du cynisme : c’est une manière de dévoiler les contradictions du monde sans hausser la voix.
Créer un Prix Nobel de la Guerre, c’est tendre un miroir à notre époque — et constater que la paix y fait parfois plus de victimes que la guerre elle-même.
Alors, Mesdames et Messieurs les décideurs, les rêveurs, les faiseurs de paix, et pourquoi pas, les faiseurs de guerre en quête de reconnaissance : soutenez cette initiative.
Créons ce Prix Nobel de la Guerre.
Non pas pour célébrer le conflit, mais pour le tourner en dérision, pour le désacraliser, et pour rappeler, en riant jaune, que le plus grand génie de l’humanité reste, et doit rester, celui d’éviter à tout prix d’avoir à le décerner un jour.
S. L




