Sahel : le piège malien, entre manipulations étrangères et rupture avec l’Algérie

- Sahel : le piège malien, entre manipulations étrangères et rupture avec l’Algérie
Par : Salah Lakoues
En dénonçant l’accord de paix d’Alger et en rompant avec la seule puissance régionale capable de médiation, la junte malienne s’isole et entraîne avec elle le Niger et le Burkina Faso dans une impasse. Derrière cette dérive, les influences du Maroc et des Émirats Arabes Unis, mêlant ambitions géopolitiques et trafics d’or, redessinent le chaos au cœur du Sahel.
Mali : la junte militaire entre dérive autoritaire, manipulations étrangères et rupture avec l’Algérie
La dénonciation unilatérale par la junte malienne de l’accord de paix d’Alger de 2015 marque un tournant dramatique pour la stabilité du Sahel. Ce texte, fruit d’années de médiation patiente menée par l’Algérie, constituait le dernier cadre légitime de dialogue entre Bamako et les mouvements touaregs du Nord. En y renonçant, le pouvoir malien issu du coup d’État militaire de 2020 choisit la logique du refus et de la confrontation, rompant ainsi avec l’esprit de réconciliation que portait l’accord.
Cette rupture s’inscrit dans un climat de tension sans précédent. Après la dénonciation de l’accord, un drone malien a violé l’espace aérien algérien avant d’être abattu par la défense antiaérienne d’Alger — un acte perçu comme une provocation inacceptable. En réaction, les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) — le Mali, le Niger et le Burkina Faso — ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Algérie, aggravant une crise déjà profonde. L’espace aérien algérien a été fermé aux avions maliens, symbolisant la fracture entre la junte et la seule puissance régionale capable d’assurer une médiation équilibrée.
Derrière cette escalade se profile une recomposition géopolitique dangereuse, où les influences étrangères jouent un rôle déstabilisateur. Le Maroc et les Émirats Arabes Unis apparaissent aujourd’hui comme les parrains d’une diplomatie de la discorde. Rabat, engagé dans une guerre d’influence contre Alger, instrumentalise la fragilité des régimes militaires sahéliens pour étendre son réseau d’alliances et marginaliser l’Algérie, notamment en Afrique de l’Ouest. En tissant des liens économiques et sécuritaires avec Bamako, le Maroc cherche à saper le modèle d’intégration régionale promu par Alger et à détourner le Mali de son environnement maghrébo-sahélien naturel.
Les Émirats Arabes Unis, eux, se sont imposés comme le principal bailleur de fonds et fournisseur d’armes des juntes africaines, notamment au Mali. Sous couvert d’investissements et de coopération sécuritaire, Abou Dhabi a noué des relations opaques avec le pouvoir malien, alimentées par le trafic d’or. Le Mali est devenu une véritable plaque tournante du commerce illégal d’or vers Dubaï, un trafic qui profite directement à la junte militaire, pourtant illégitime, et à ses réseaux. Ce lien malsain a pris une tournure dramatique récemment : deux citoyens émiratis ont été enlevés au Mali, et Abou Dhabi aurait proposé une rançon de 50 millions de dollars pour leur libération. Ce fait divers illustre à lui seul le désordre croissant dans lequel le pays s’enfonce, et la confusion des intérêts économiques, politiques et criminels qui y règnent.
Le rôle des Émirats dans la région ne se limite pas au Mali. Au Soudan, ils financent et arment les milices des Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemetti, responsables d’une guerre civile dévastatrice et de crimes de guerre contre les populations du Darfour. Là encore, l’or est au cœur du dispositif : le métal précieux, extrait dans des conditions effroyables, est acheminé vers les marchés émiratis pour financer la guerre. Cette stratégie fondée sur la prédation économique et l’alimentation des conflits fragilise tout le continent africain, du Nil au Niger.
Au Mali, la confusion entretenue par la junte entre les groupes touaregs du Nord — porteurs d’une revendication identitaire et politique — et les groupes armés islamistes s’est révélée catastrophique. En amalgamant la cause de l’Azawad au terrorisme, les militaires ont coupé le pays en deux, poussant de nombreux jeunes marginalisés vers les groupes extrémistes. La répression aveugle, l’absence de dialogue et l’idéologie nationaliste instrumentalisée ont remplacé la concertation et la reconstruction.
Le Niger et le Burkina Faso, aujourd’hui membres de l’AES, se retrouvent piégés par l’aventurisme de la junte malienne. En suivant Bamako dans sa rupture avec l’Algérie et dans son isolement croissant vis-à-vis de la communauté internationale, ces deux pays risquent d’être entraînés dans une impasse politique et sécuritaire. Leur dépendance accrue à des partenaires du Golfe ne leur offre aucune perspective durable de stabilité ou de développement.
Dans ce contexte explosif, seule la médiation de l’Algérie entre les différents acteurs maliens et régionaux peut encore offrir une voie de sortie. Forte de son expérience diplomatique, de sa neutralité historique et de son engagement constant pour la paix au Sahel, l’Algérie demeure le seul acteur capable de rétablir le dialogue entre Bamako, les Touaregs et les forces politiques du Nord. Fidèle à sa doctrine de non-alignement et à son refus de toute ingérence étrangère, elle voit dans la multiplication des interventions extérieures un risque majeur pour l’intégrité territoriale du Mali et la sécurité de toute la bande sahélo-saharienne.
La rupture du dialogue avec Bamako ne signifie pas un désengagement, mais bien un signal d’alarme : celui d’une Algérie qui refuse de cautionner la manipulation de la souveraineté africaine par des puissances qui exportent la guerre au nom de leurs ambitions économiques. À terme, la survie du Mali — comme celle de toute la région — dépendra moins des alliances militaires ou des trafics d’or que de la restauration d’un cadre politique fondé sur le droit, la légitimité et la paix négociée. Et sur ce chemin, l’Algérie demeure la seule boussole crédible.
S. L




